Bon week-end ?

A cette question rituelle de lundi matin, on répond machinalement, oui, très bien, merci et toi ? avec l’impression, hors voyages, vacances, etc., d’avoir passé un week-end sans grand intérêt à Paris.

Voyons voir.

Vendredi soir, j’ai retrouvé un ami pour des bières IPA rue Cler ; une heure et demie de conversation jonglant entre des sujets perso et les affaires du monde.

Samedi matin, j’ai couru au bois de Boulogne par un temps de rêve, en écoutant un podcast sur l’élection présidentielle en France. Nous avons ensuite déjeuné en terrasse, en famille.

En guise d’apéro, un gin tonic au soleil. Après un rapide dîner, nous avons marché quarante minutes jusqu’à Montparnasse pour voir Contes du hasard et autres fantaisies, nouveau film de Ryusuke Hamaguchi. En rentrant, nous avons discuté du film, très différent de Drive my car, plus modeste, et plus rohmérien. Nous nous sommes dit que le film et le portrait des femmes feraient leur chemin en nous.

Dimanche matin, j’ai couru le long d’un itinéraire que j’appelle « Monument Run » : Invalides, jardin du Luxembourg, Panthéon, Arènes de Lutèce, jardin des plantes, Bastille, berges rives droite, Notre-Dame, Tuileries, Louvre, Orsay, Grand Palais, Tour Eiffel. Au bout de la course, rue Cler, j’étais euphorique. J’ai écouté un podcast sur Roe v. Wade, le cas de la cour suprême qui agite et divise les Etats-Unis, à l’heure où j’écris. Je me suis dit que la vie de Jane Roe, enfant de la balle texane, passant du statut de « poster child » de la cause pro-choice, à porte-parole, des années plus tard, de la cause « pro-life », ferait un excellent biopic.

Nous avons déjeuné à la maison : daurade royale, brocolis, pommes de terre rissolées, et blé concassé sauce tomate.

L’après-midi, nous sommes allés voter à la mairie du 15ème pour les législatives libanaises. Nous avons marché jusqu’à la mairie. Le 15ème est réputé très laid, mais nous avons pris soin de prendre un itinéraire avec peu de voitures, bucolique par endroits, par exemple la place Dupleix, assez charmante, rue Fondary, et Amiral Roussin. La file d’attente était très longue sur la jolie place de la mairie, j’ai renoncé et me suis promis de passer plus tard, le bureau étant ouvert jusqu’à 22 heures.

Je suis allé chez Conran Shop à vélo pour choisir des petites plantes pour la maison. J’ai passé une bonne heure à les choisir. Je suis passé à la librairie du Bon Marché pour acheter le livre d’Annie Ernaux, Le jeune homme. De retour à la maison, j’ai trouvé le bon endroit où placer la plante. Après un dîner léger, je suis allé à vélo à la mairie du 15ème et j’ai réussi cette fois à voter. J’ai croisé une amie et nous avons échangé quelques mots. Je suis rentré et j’ai lu l’inédit de Céline, Guerre. J’ai aussi lu (en une petite demi-heure) le livre d’Ernaux qui fait 40 pages en caractère 14. Sommaire mais riche de correspondances avec le reste de l’œuvre et surtout avec L’événement. L’observation, comme plus tard chez Edouard Louis, des « petites choses » qui font la bourgeoisie.

Ça va ? Bon week-end ? Ecoute, pas mal après tout.

J’aime aussi les journées composites et multi-pays.

Le mercredi ayant suivi ce week-end, je me suis réveillé à 7 heures au Grand Hotel Central, à Barcelone, via Laituna. Je suis sorti, j’ai couru jusqu’à la plage avec un tapis de yoga sous le coude. Sur la plage, je me suis adonné à un exercice de gymnastique méditative. De retour (en courant) à l’hôtel, j’ai enfilé un Speedo et aligné des longueurs dans la piscine à débordement sur le toit-terrasse qui surplombe la ville baignée d’un ardent soleil.

Je suis allé ensuite à un centre de conférences pour des meetings toute la journée, cinq ou six avec des Espagnols, des Hollandais, un Chinois vivant à New York, des Américains de Californie, des Suédois, des Anglais. J’avais aussi un Zoom avec des Français et des Africains. J’ai déjeuné sur le pouce mais néanmoins au soleil (un bowl dit « healthy »).

Vers 18 heures, nous avons attendu un taxi dans la longue file d’attente, direction l’aéroport. Une fois à l’aéroport, nous avons dîné (des omelettes espagnols) dans le salon avant d’embarquer.

Dans l’avion, j’ai travaillé puis, une fois à bout de batterie, j’ai regardé un épisode d’Ozark sur mon iPhone. La série raconte l’histoire d’une famille, les Byrde, qui travaille pour un cartel de la drogue mexicain. Tension entre leur volonté de s’en sortir pour retrouver une vie normale et leur gestion du cartel en attendant. La série relative les problèmes de la vie quotidienne, car devoir gérer un cartel mexicain de la drogue n’est pas commode et, à côté, les problèmes de copropriété ont l’air de broutilles. Cela m’énergise car les Byrde finissent toujours par trouver une solution, lui grâce à une diplomatie d’expert-comptable geek, elle, par une approche sans foi ni loin de Lady Macbeth du Missouri.

L’avion a atterri à l’heure à 22h20, mais avons attendu trente minutes pour débarquer car le personnel au sol n’arrivait pas à viser avec la passerelle de débarquement la porte de l’avion. Le pilote a finalement redémarré pour modifier sa position de quelques mètres. J’ai pris un taxi pour rentrer chez moi. Je me suis adonné à ma toilette et me suis endormi, loin de la plage de Barceloneta où l’odyssée de ma journée avait pourtant commencé.

Retour à New York

Il y a des choses qui rythment une vie et reviennent à intervalles réguliers. Elles n’ont ni la continuité d’une routine, ni l’unicité d’événements exceptionnels, mais la saveur du déjà-vu et des variations autour d’un thème. Ce sont les films d’un réalisateur aimé, les romans d’un écrivain admiré, les marronniers en fleurs et les voyages à New York.

Quand j’entre dans Manhattan ce mercredi 20 avril 2022, un véritable plaisir de retrouvailles m’étreint. La dernière fois, c’était avant le Covid, en novembre 2019, pour le New York City Marathon. Rien n’avait changé depuis. L’énergie est intacte. Le taxi me propulse à toute allure, bousillant mon estomac, au cœur de l’action, dans ce chaos si spécifique où se côtoient des businessmen gominés marchant d’un pas déterminé dans leurs énormes chaussures cirées, des businesswomen perchées sur des Stiletto et accrochées à leurs portables, des ouvriers de travaux de chaussée enveloppés de fumées impressionnantes, des touristes, des livreurs, etc. L’entrée dans Manhattan est une immersion immédiate dans le royaume du bruit sous toutes ses formes perpétuelles.

À chaque fois que je visite la ville, se pose le dilemme de l’hôtel. Si l’on séjourne dans le Midtown près de Central Park, on profite de ce dernier, mais le quartier est chaotique le jour, désert et déprimant la nuit. Times Square est l’un des endroits les plus affreux sur terre ; à l’ouest, Hell’s Kitchen porte bien son nom. Au sud de Soho, les quartiers sont plus agréables, plus aérés, les restaurants bien meilleurs et l’on peut marcher sans être aspiré dans le tourbillon de la foule. En revanche, on est loin du parc et des buildings.

Indécis, j’ai fait le choix du milieu : un hôtel pile au centre entre le Financial District et le début du parc, et cet hôtel, le Park Terrace Hotel, surplombe Bryant Park, une minuscule oasis de verdure et de relatif calme dans la matrice survoltée de la ville. Le choix s’est révélé excellent ; je pouvais continuer de courir au parc, Soho était un peu moins loin, Bryant Park ravissant, les buildings alentour d’une miroitante beauté, se reflétant les uns dans les autres, comme dans des plans d’eau verticaux, et se transformant, la nuit, en joyaux luminescents.

J’ai instauré une routine bien réglée. Tous les matins, je courais à Central Park, puis je revenais vers l’hôtel pour acheter des fruits au Whole Foods Market de la 6ème avenue et un cappuccino chez Blue Bottle de la 40ème rue. Ensuite, je les dégustais dans Bryant Park, au soleil, ce petit territoire paisible entouré de chaos. Je remontais ensuite dans ma chambre, prenais une douche et rejoignais ma famille dans un restaurant.

Autour de cette routine, la journée se compliquait. Je suis arrivé le mercredi 20 avril, ai travaillé sans relâche pendant deux jours, me suis évadé samedi matin à Central Park pour une heure, et ai travaillé le reste du jour. Ma famille m’a rejoint samedi soir, nous avons dîné sur la terrasse de notre hôtel, un rare et d’autant plus appréciable moment de répit. Dimanche matin, nous sommes retournés à Central Park, puis nous avons brunché chez des amis dans le Upper West Side, travaillé, et vers 19 heures 30, nous sommes partis en direction de New Haven dans une Toyota 4 Runner pour visiter le campus de Yale. Nous avons effectué le check-in dans un hôtel de province, j’ai travaillé dans le lobby jusqu’à 23 heures, finalisé le projet, que j’ai fêté seul avec une bouteille pré-mixée de Old Fashionned prise dans le frigo de l’hôtel.

Le lundi, nous avons visité le campus et le centre-ville, déjeuné à l’Atticus, puis certains d’entre nous sommes allés à East Rock Park. Le mardi, ce même sous-groupe est retourné à Manhattan, a dîné dans un restaurant japonais sur Lexington. Le mercredi, j’ai travaillé, fait du sport à la gym, déjeuné à Bryant Park, visité la Library et Grand Central Station, et dîné dans un restaurant indien.

Le jeudi, nous étions enfin tous réunis, nous avons passé la journée à Soho, puis dîné dans un restaurant mexicain avec des amis, et nous sommes rentrés à pied, de la 20ème à la 40ème rue. Le vendredi, nous avons déjeuné à Chelsea, visité le Whitney Museum, ainsi que la petite île en face du musée sur le Hudson River. Ensuite, nous sommes remontés en empruntant la High Line, en faisant face à l’immeuble The Edge et sa terrasse trapézoïdale suspendue à des centaines de mètres de hauteur, et avons dîné chez Vestry, un restaurant étoilé Michelin de Soho.

Le samedi, nous avons visité Nolita, puis sommes retournés à Central Park pour admirer son allée des cerisiers en fleurs, avant de revenir à l’hôtel pour prendre la direction de JFK.

Comme dans toute expérience répétitive, il y a des moments à New York que j’apprécie particulièrement : le jogging à Central Park ; la visite des magasins Muji, notamment celui de la 5ème avenue, havre de paix et de beauté, baigné de parfum et d’opéra japonais ; les balades à vélo avec les vélos Citibike ; le jogging du week-end sur la Greenline qui longe la Hudson River pendant 750 miles ; la commande d’un cocktail au restaurant ; le rituel du retour à Paris.

Je me demande ce qui m’attire dans cette ville. Est-ce Central Park, avec son rectangle parfait et bucolique qui tranche avec l’urbanité déchaînée ? Ou bien les flux incessants de voitures, de camions, de foules, de nuages, de vent, d’eau, d’images ? Est-ce l’idée d’être emporté par ces flux ? La facilité avec laquelle on peut s’échapper du béton pour retrouver l’eau ? Les bruits, qu’ils proviennent des voitures, des klaxons, des sirènes, des conversations, des avions passant juste au-dessus des immeubles, et soudain un silence ?

Peut-être est-ce la diversité, celle des gens, des quartiers, des cultures, des cuisines, des architectures. Ou alors le côté infernal de la ville, et toutes ses associations bibliques et dantesques, comme si un concept, une fiction, prenait une forme spectaculaire et concrète en acier, en verre, en fumées, en clameurs, en mouvement. Tout cela est à l’opposé de Paris, et de temps en temps, j’ai besoin de m’échapper de Paris pour découvrir son antithèse.

Emergences

Le printemps est surestimé. Ou plutôt… il pâtit des innombrables clichés qui lui sont associés : la renaissance, la montée des sèves, les arbres en fleurs, les oiseaux qui chantonnent, etc. Tout cela est trop gai, trop lumineux, ça n’a pas beaucoup de gueule. Je ne sais plus quel philosophe avait pourtant brillamment disserté du printemps, j’avais écouté cela sur France Culture, mais le nom m’échappe. Était-ce Jankélévitch ?

Cela étant dit, le week-end du 26 et 27 mars 2022 restera gravé dans les mémoires des Parisiens. La météo était idéale, avec un grand soleil, un ciel bleu et des températures atteignant les 20 degrés. Malgré des dizaines de milliers de contaminations par jour, on avait décrété que le Covid, c’était fini, en rebaptisant la pandémie en « endémie » ; le tour était joué, le langage possède des ressources insoupçonnées, qui aurait deviné que ce serait finalement un changement de syllabe qui mettrait fin à deux ans de cauchemar ? De toute façon, ce dernier week-end de mars 2022, absolument tout le monde a déjà été atteint de la maladie, la notion même de contamination n’a plus de sens.

Mon week-end fut exceptionnel. Samedi matin, je suis allé courir au bois de Boulogne, fou de joie, levant les yeux vers les pins et écoutant le podcast de la Book Review du New York Times. Je me suis assis ensuite sur la terrasse d’un petit café de ma rue, face au soleil, pour déguster un capuccino. Les quelques clientes du café étaient d’excellente humeur. A midi, je me suis précipité au Tourville place de l’Ecole Militaire pour mettre la main sur la table la plus stratégique eu égard à la trajectoire du soleil dans le ciel. Une partie de ma famille m’a rejoint pour un long déjeuner et une conversation très fluide, très lumineuse. Je me suis ensuite inventé des prétextes pour faire des courses à vélo, allant d’un lieu à un autre de Paris. De retour chez moi, j’ai travaillé dans ma chambre avec la fenêtre ouverte. Le vent pénétrait dans la pièce et par moments m’apportait des sons de cloche d’une provenance inconnue. Le soir, nous avons regardé un film, Aline, de Valérie Lemercier.

Le dimanche, je me suis réveillé avec difficulté vers 9 heures. L’heure avait changé la nuit précédente. Heureusement, j’avais bien dormi, ce qui me rendait doublement heureux : heureux d’avoir pu bien me reposer et heureux de ne pas m’être réveillé pendant la nuit. Après mon réveil, je me suis précipité au Luxembourg pour une course à pied, et ensuite, j’ai pris le chemin des quais en faisant un détour par le jardin des plantes.

Partout, les Parisiens émergeaient de chez eux, de la pandémie, de l’hiver. Toutes ces émergences étaient simultanées ; après des mois dans les ténèbres, ils se réhabituaient à la lumière du jour, hésitants, livides, vieillis, mais heureux.

À midi, animé par un goût pour la répétition, je me suis précipité au café des Officiers, place de l’École Militaire. Ma fille aînée nous a rejoints, ce qui était une agréable surprise car elle est rarement disponible pour nous. Nous avons savouré chaque instant en sa présence et nous étions tous heureux de partager ce moment ensemble.

Elle nous a appris qu’elle devait écrire une lettre de château, courrier de remerciement que les jeunes filles de bonne famille envoient à une maîtresse de maison qui les a accueillies chez elle. Elle s’est plainte de ne pas disposer de papier lettre de qualité. Mais qu’à cela ne tienne ! Pour conclure le week-end en beauté, nous sommes allés à pied au Bon Marché pour lui acheter tout ce qu’il faut. Les Invalides étaient noires de monde. Le virus circulait allègrement entre les milliards de Parisiens vautrés sur le gazon. Au Bon Marché, nous nous sommes procuré du papier vélin après avoir vérifié sur Wikipédia qu’il s’agissait d’un papier sans grain, soyeux et lisse qui a la particularité de ne pas laisser apparaître de « vergeures », et évoque le vélin, un parchemin de luxe fabriqué avec la peau d’un veau mort-né. Nous avons, un moment, hésité avec le papier vergé, qui laisse apercevoir par transparence de fines lignes parallèles horizontales dans l’épaisseur du papier, mais il était trop jaune à notre goût.

De retour à la maison, j’ai préparé ma valise pour me rendre à Zurich, où j’avais des réunions le lendemain. Dans l’avion, je me suis plongé dans mes pensées et j’ai rêvé de ma journée passée.

Le lendemain, j’ai googlé « Jankélévitch et le printemps », et j’ai retrouvé le titre de l’émission que j’avais écoutée : « Ne manquez pas votre unique matinée de printemps. »

Télétravail

J’ai pris la route dimanche soir à 19h30 au volant d’une Peugeot 2008 louée chez Sixt. Après quelques appels, j’ai écouté le très beau livre de Didier Eribon, Retour à Reims. Naturellement, à cette heure, un dimanche glacial de janvier, la circulation était fluide.

Une fois sur l’autoroute, je me retrouvais coupé du monde, en apesanteur, emporté dans l’accélération, les sens en léthargie, et bercé par la voix d’Irène Jacob analysant avec minutie chaque étape du voyage social de l’auteur de Morale du minoritaire.

Après une heure de route, je me suis arrêté sur une aire de service. J’ai toujours été attiré par les aires de service. Lumières fuyantes dans les limbes de l’autoroute. Perpétuation du monde, idée que d’autres humains continuent d’exister.

Tout était fermé pourtant, sauf un Pomme de Pain tenu par une jeune femme qui avait l’air d’un ange, d’un fantôme, d’une survivante, quelque chose de cet ordre. On avait du mal à croire à son existence. Elle n’avait pas grand-chose à me proposer à part des viennoiseries au bout du rouleau et des croque-monsieur immenses et frigorifiés. J’ai pris une soupe de légumes qu’elle m’a invité à réchauffer dans le micro-ondes, là-bas, près des toilettes.

La forme de la soupe n’était pas engageante. Ça faisait nourriture pour bébé dont on ne sait jamais ce qu’elle est vraiment, liquide ou solide. Mais qu’est-ce qu’elle était bonne cette putain de soupe bien chaude dans laquelle je plongeais mes lèvres les yeux rivés sur l’autoroute dont la Peugeot 2008 avalait goulûment le ruban. J’aurais aimé qu’elle dure à jamais, et je pensais à la fille de Pomme de Pain, à ce qu’elle ferait après son « service ». Où habitait-elle ? Dans laquelle de ces « périphéries » dont on parle si souvent dans la presse et qui, dans mon esprit, forment une topographie indéfinie de routes, d’échangeurs, de ronds-points, de centres commerciaux, de pavillons, de gares ? Des lieux de transit sans aucune promesse d’attachement.

Je suis arrivé à la maison de campagne vers 22 heures. Le portail s’est ouvert mais, essayant d’allumer les lanternes, le disjoncteur différentiel a sauté. Ce genre de minuscules déconvenues sans enjeu ont le don étrange de m’agacer. Peut-être parce qu’il faudra maintenant harceler des artisans pour qu’ils viennent réparer. J’ai pensé à ce film que j’ai vu récemment, Bergman Island, dans lequel le personnage qui loue la maison du cinéaste sur l’île de Faro, ayant servi de décors à certaines Scènes de la vie conjugale, parle d’une maison simple et simple à vivre.

Comme d’habitude, j’ai mis le chauffage et me suis endormi dans des draps froids. J’ai apporté le dernier Houellebecq avec moi, Anéantir, mais à peine ai-je commencé à lire quelques lignes dans lesquelles il dézinguait un médecin, que je me suis endormi.

Tous les jours de la semaine qui suivit, je me suis réveillé entre 8 heures et 9 heures. C’est un moment exquis : il fait encore nuit et le jour se lève, les troncs des arbres se dessinent doucement dans la pénombre, la pénombre se dissipe, une gradation de noirs. Un moment de suspension où je suis absorbé par le muesli, le yaourt grec, les myrtilles, le miel et les briefs du Morning du New York Times sur ce qui se passe très loin d’ici, dans le monde.

J’aime les habitudes. Je travaille après le petit-déjeuner, souvent des mails, pas de calls, et attends l’heure fatidique, midi. A midi, je pratique mon sport, de la gym tous les jours sauf le mercredi, jogging en pleine campagne. Il n’a pas plu cette semaine de janvier et, chose très agréable, il n’y avait aucun vent. Le silence. Des bruits mécaniques au loin. Je me suis fait cette remarque que Dieu a inventé les bruits les plus exquis (oiseaux, cours d’eau, etc.) et l’homme, en retour, des bruits de scierie.

Lundi et mardi, il a fait blanc. Mercredi, quand j’ai couru, la campagne était plongée dans une épaisse brume qui étouffait les bruits. J’éprouvais une satisfaction étrange à courir ainsi dans l’épaisseur de la brume qui rendait les couleurs évanescentes, suggérant à peine les à-plats de vert. Jeudi était une journée intéressante car toute la matinée était plongée dans la brume et vers 13 heures, au milieu de mon sport, celle-ci s’est levée, et j’ai surpris l’instant précis, vraiment la seconde, à laquelle le soleil a fait son apparition sous la forme d’une lune pleine derrière un voile de fumée qui s’effile. J’ai presque crié de joie. Ensuite, en moins d’une heure, le ciel devint d’un bleu profond, si bien que le temps de préparer des œufs brouillés et une salade et les manger sur la terrasse, le soleil, quelques minutes plus tôt livide, était au sommet de son éclat.

Vendredi, il a fait très beau. Après le déjeuner, où chaque mastication envoyait des ondes de plaisir dans mon corps vivifié par le sport, je prends une longue douche brûlante.

L’après-midi est dédié aux calls Zoom dans la grande pièce entourée de baies vitrées au milieu de la nature où j’ai aménagé mon bureau de télétravail. A mesure que les calls s’enchaînent, la nature sombre dans la nuit en arrière-plan de mon grand écran sur lequel quatre à dix visages sont disposés dans une mosaïque de têtes. Des oiseaux, au près, au loin, tracent des courbes cinétiques, projettent des ombres échevelées sur les murs baignés de lumière.

Toute la journée du lundi, cinq ou six jeunes jardiniers étaient là pour la taille d’hiver et l’élagage des branches. Une journée entière de travail, pas de télétravail, avec de gros équipements. Assis derrière mon bureau à écrire des mails ou faire des Zoom, je les observais au milieu du jardin, au sommet des arbres, et au fond de moi, je les enviais. Je les imaginais rentrer chez eux après une journée au grand air, une journée de dur labeur physique, prendre une douche, s’asseoir devant la télé, savourer leur être-là.

J’arrêtais de travailler vers 20 heures 30 ou 21 heures. J’allais ensuite dans notre petit salon TV, me recouvrais d’un plaid, débranchais mon cerveau et regardais un film. J’ai vu le dernier Sorrentino, La Main de Dieu que je n’ai pas détesté, ou encore un ancien film de Ben Affleck, Gone Baby Gone. Son frère Casey y était vraiment très beau. Je me suis aussi laissé tenter par Rendez-vous de Téchiné que Netflix voulait absolument me refourguer, peut-être au fait, on ne sait jamais, du souvenir assez ému que j’en avais gardé, préadolescent. J’ai trouvé qu’il avait mal vieilli, que les acteurs n’étaient vraiment pas bons. J’ai vu un autre film récent et étrange, The lost daughter, sur les vacances d’une femme seule sur une île grecque, qui m’a rappelé un autre film étrange et oublié, La vieille fille de Jean-Pierre Blanc, avec Annie Girardot.

Après le film, je consultais à nouveau mes mails et y répondais.

J’ai réessayé de lire Houellebecq sans y parvenir et me suis arrêté à la page 83 sur la phrase suivante : « petite amie bouddhiste qui savait contracter sa chatte. » La question que je me suis alors posée est : comment ? Comment cet écrivain était-il devenu un monument national et même mondial ? Les corps de métier et les people changent, mais cela fait trente ans qu’il ressasse les mêmes quatre idées « métaphysiques », les mêmes quatre blagues « hilarantes », sur le même ton monocorde. Trente ans qu’il exprime le plus profond mépris envers tout ce qu’il croise sur sa monotone route : objets, paysages et personnages qu’il dézingue dans la minute suivant leur rencontre. Et pourtant, j’ai sagement tout lu de lui. Pour en garder quoi au juste ? Quelles joies ? Quelles idées ? Quelles émotions ? Aucune. Juste un lointain ronronnement de frigo nihiliste et l’appréhension du nouveau volume dont il va empoisonner les esprits. Alors, pour parler comme lui, avec une profonde satisfaction, à la page 83 de sa dernière merde, j’ai décidé d’arrêter.

Le vendredi soir, après la journée de travail, je suis rentré à Paris. C’était le moment idéal pour rentrer. En général, toute la paix du séjour est effacée par le stress du retour et l’entrée dans la capitale comme dans un enfer de Dante. Mais ce 14 janvier, l’entrée dans Paris fut glorieuse. Il n’y avait aucune circulation, pas la moindre minute de ralentissement. Même sur les quais de la Seine avec la vue de la Tour Eiffel bleue, sertie des étoiles de l’Europe, la France prenant ce mois-là la présidence du continent : personne. A peine un brave cycliste défiant le froid. A part un appel à ma mère, j’ai passé tout le trajet à écouter le livre d’Eribon sur la sienne ou, parfois, à rêvasser. Au bout de mon voyage, j’arrivais au bout du sien, avec sa conférence à Yale où il recevait un prix qui, en couronnant son ascension, lui fit repenser à son histoire longtemps refoulée ; cette conférence n’était autre que l’esquisse du livre que je venais de terminer.

Deux heures plus tôt, avant de monter en voiture pour rentrer, j’avais levé les yeux au ciel. Il scintillait de milliers d’étoiles sur lesquelles veillait une lune largement formée.

Barcelona

Le dimanche soir, nous sommes revenus à l’hôtel vers 18h20, j’avais commandé le taxi à 40. Je suis coutumier des nostalgies immédiates, celles d’événements très récents. Tout dans ces dernières minutes à l’hôtel me rappelle les premiers instants d’arrivée, trois jours plus tôt. Faire l’expérience du même lieu vécu à deux instants très proches et dans des dispositions très différentes (l’excitation de l’arrivée, la nostalgie du départ), me fait prendre conscience du temps qui passe.

Avec l’annulation de notre réveillon de nouvel an, nos convives ayant été atteints les uns après les autres du Covid, une épidémie qui continue de frapper le monde en cette fin 2021 dans un raz-de-marée de nouveaux cas, nous avons décidé le 30 décembre de partir à Barcelone le lendemain. Nous avons hésité avec Rome, les deux villes affichant une météo idyllique (20 degrés, grand soleil), mais Barcelone s’est imposée à cause des conditions d’entrée sanitaires plus simples et puis nous avions besoin de mer, de plage, de grand air.

Bien qu’ayant organisé le voyage en dernière minute, nous avons longuement réfléchi au choix de l’hôtel. Quand on visite une ville, le choix de l’hôtel est essentiel. Il ne s’agit pas du tout des bonnes revues sur internet, du petit-déjeuner ou de la chambre luxueuse. Non, l’hôtel, par sa localisation et son style, donne le ton au séjour. Nous avons décidé de ne pas séjourner sur la plage avec ses deux tours, l’hôtel Arts d’une part et W de l’autre, même si ce dernier offre des vues splendides sur la mer. La plage est éloignée de la ville et de son atmosphère, coupée d’elle par une autoroute. L’hôtel numéro 1 sur Trip Advisor, le Serras Barcelona, donne sur la Marina, et je n’aime pas ce coin sinon pour y courir. Le sauna au sommet du Arts offre une vue panoramique sur le cosmos, mais l’endroit me rappelle le travail et les conférences. Nous avons exclu la partie Passeig de Garcia (par exemple le Mandarin Oriental où j’ai séjourné une fois). Les avenues sont trop larges et les boutiques totalement standardisées, une grande tristesse en émane. Entre les deux, le quartier du Born nous a semblé être un bon choix. S’agissant du style, nous avons opté pour un boutique hôtel. Je ne déteste pas les palaces. Au contraire, j’aime le mouvement, l’atmosphère désuète, le bar, les portes tournantes monumentales. Les boutiques hôtels me font peur, on ne sait jamais sur quel « charme » on va tomber. Mais leur avantage, et ce qui a dicté notre choix, est l’impression qu’ils donnent de vivre dans la ville, de vivre la ville. D’habiter un de ses immeubles. On peut s’imaginer résident. Nous avons donc exclu les boutiques hôtels luxueux ou too much (même s’ils sont tous à des prix raisonnables) comme l’Almanac (trop de voitures et le côté fauteuils rouges), le Seventy (trop loin de la plage), le Pulitzer (trop Plaça de Cataluña), l’Alma (loin de la plage, même si l’hôtel est superbe, y aller pour dîner, boire un verre). Malgré son nom affreux, nous avons opté pour le Yurbban Passage. Le passage en question, très poétique, relie le Carrer de Trafalgar au Born. De plus, si tous ces hôtels disposent de toits-terrasses, seules les chambres du Yurbban ont des terrasses privées. Enfin, aucun fauteuil rouge, nous sommes dans les tons Aesop, noir et beige, ce sera parfait.

Depuis mon premier séjour en 1996, je me suis rendu de multiples fois à Barcelone. Quelque chose de secret me lie à cette ville. J’aime sa diversité architecturale même si j’ai une préférence pour les anciens quartiers (El Born, Barrio Gotico) et la mer, et n’apprécie guère les grandes avenues (Passeig de Garcia, Diagonal). Les Catalans ne sont pas les plus accueillants du monde et d’aucuns leur reprochent une certaine sécheresse voire de l’arrogance. La vie et les relations sont plus douces à Madrid. Mais à moi, cela procure un sentiment d’étrangeté que j’apprécie. Il y a quelque chose d’altier et de distant qui ne me déplaît guère. C’est le propre des peuples minuscules et sédentaires, assez insignifiants, mais attachés à leur terre, ne la quittant pas, et vivant dans l’illusion d’une grandeur à laquelle seuls eux croient, au point de se construire une réalité alternative, dépaysante, où celle-ci serait reconnue.

Cette ville a quelque chose. Une sorte de magie. Quand j’y pense, c’est dans des tonalités propres à la rêverie. La lumière y est pour beaucoup. Je n’y suis allé que l’hiver, au plus tard au mois de mai, et à chaque fois me suis laissé couler dans cette lumière dorée, presque liquide.

Nous sommes arrivés le 31 décembre en fin de matinée et après le check-in, avons marché vers la plage, à travers le Parc de la Ciutadella, puis une grande avenue circulaire qui longe les rails, avant de traverser un pont qui les enjambe et se retrouver au niveau de l’hôtel Arts. La plage était inondée de soleil et de monde. Nous avons marché vers le W et avons mangé des sandwichs sur la plage. Nous avons ensuite acheté un grand tapis de bain à des vendeurs à la sauvette et avons fait la sieste, au son des conversations des vacanciers. Quelques heures avant le réveillon, l’atmosphère était déjà à la fête.

De retour à l’hôtel, nous avons profité de la terrasse qui donne sur le Born et le désordre de ses toits entre lesquels émergent çà et là les pointes d’églises et de tours modernes.

Nous avons passé le réveillon dans un restaurant de tapas dont nous sommes des habitués depuis des années et assisté ensuite aux feux d’artifice sur la terrasse de l’hôtel.

Le lendemain, j’ai inauguré l’année par un jogging le long de la plage, par un temps de rêve, en écoutant un podcast sur les mathématiques et leur beauté « littéraire », leur capacité à inventer des mondes. Autour de moi, cette plage, le soleil, les coureurs avaient précisément des allures de créations mathématiques.

De retour à l’hôtel, je me suis assis sur la terrasse et, sous le soleil, j’ai savouré les instants de lumière de l’année naissante, au son des cloches des églises et des oiseaux qui, de toutes parts, dans un concert exalté, célébraient le feliz año.

Nous avons visité un musée du Born, juste en face du musée Picasso, intitulé Moco. Un musée d’art moderne conçu pour Instagram, toutes les créations étant très adaptées au réseau social. Nous nous sommes pris en photo dans le réseau luminescent de diamants psychédéliques. Nous avons ensuite déjeuné sur une terrasse, bercés par les mélodies démodées d’un chanteur de rue à la voix envoûtante.

Nous avons passé le reste de l’après-midi au parc Guël avant de rentrer à l’hôtel et d’aller dîner dans le quartier, en se laissant doucement enivrer par un vin blanc sec. Le trajet du retour à l’hôtel a duré une quinzaine de minutes à pied, et ces quinze minutes concentraient en elle toute la joie de la présence sur terre. Nous marchions dans des dédales de ruelles, sans aucune voiture, éclairées par des lanternes, dans lesquels étaient nichées des places confidentielles, des clairières urbaines. Les rues étaient calmes mais nous croisions d’autres personnes, nous étions dans une ville habitée, une ville réelle, des appartements étaient allumés, nous circulions au milieu de vies, de gens qui seraient encore là le lendemain. Le vin nous avait plongé dans l’insouciance, nous ressentions le moment présent, nous y étions connectés. La conversation était décousue. Produite par la marche. Chaque rencontre, d’une place, d’un bâtiment, d’une femme, d’un chien, produisait des idées au contact d’un réseau informe d’émotions, d’autres moments vécus. Nous nous promenions dans les ruelles comme parmi les mots, et les souvenirs.

Même scénario de course à pied le lendemain avec un podcast sur des romans d’apprentissage et la beauté du monde, la joie de Bernanos, un truc de réac catho mais finalement pas mal.

Après ma séance d’adoration du soleil sur la terrasse de l’hôtel, nous sommes allés déjeuner sur la plage en famille, et y avons passé deux ou trois heures. Sans forcément se l’avouer, nous étions heureux de ces instants de retrouvailles. Deep inside, nous savions que les heures étaient désormais comptées et que notre famille telle qu’elle est aujourd’hui allait dans quelques mois se disperser.

Nous avons ensuite marché longuement vers la vieille ville, pris un café chez Brunells, sillonné La Rambla.

J’avais le souvenir confus d’une place par-là, où des années plus tôt mes pas m’avaient conduit. En regardant sur Google maps, en zoomant sur la carte comme pour remonter le temps, je la retrouvai : la Plaça Reial. Je zoome, c’est bien cela, les palmiers, la place carrée, fermée. Comme tout le monde se plaint de la foule touristique de la Rambla, je dis : je connais une jolie place, c’est à 7 minutes, allons-y.

Il y a vingt-ans, quand j’avais visité la Plaça Reial pour la première fois, je l’avais adorée. Le souvenir de cette adoration, diffus, me reste, insituable, mais vivant. J’ai retrouvé l’exact endroit où je m’étais assis sur la fontaine pour goûter aux heures tranquilles du crépuscule. Pendant cette absence de vingt ans, ni le réel, ni le ciel, ni le crépuscule, ni les palmiers, ni l’architecture de la place, ni même la population qui la fréquentait n’avaient changé. Ils étaient en tous points identiques à mon souvenir. La seule chose qui avait changé, c’était moi.

Je ne suis pas sûr d’être entièrement dans le moment, des choses que j’ai maintenant oubliées me préoccupent sûrement, des petites choses sans aucun intérêt. C’est seulement maintenant que je revis le moment, en écrivant ces lignes, par une matinée grise de janvier, avec la distance de l’écriture et de l’oubli qui débarrassent le moment des pensées parasites. Je me focalise sur les quatre personnes qui m’entourent, sur l’instant précis où elles m’entourent. De la même manière que dans la fixité de la Plaça Reial, seul moi avais changé, les personnes qui m’entourent et notre groupe va changer. Alors j’ai besoin de sauver ce moment, de sauver quelque chose du temps. De sauver les visages tels qu’ils étaient ce soir-là.

Les lumières des décorations de noël s’allument, éclairant ces visages. Soudain, un vieux monsieur allume une enceinte portable qui joue une chanson espagnole mi-mélancolique, mi-entraînante. Il met sa main, qui porte l’enceinte, derrière son dos. Il est élégant, sa chevelure blanche est bien coiffée, il porte un pantalon jaune et une veste marron. Il commence à danser. A esquisser des pas de danse à la fois rythmés et emprunts de lenteur. Il tourne autour de notre table. Comme s’il dansait pour nous, pour nous égayer. Pour nous reconnecter au moment. Comme s’il dansait pour sauver quelque chose du temps.

Noël à Vienne

Dans une de ses légendes les plus philosophiques, l’influenceuse d’Instagram Chiara Ferragni notait qu’on éprouvait plus de bonheur en se remémorant les moments qu’en les vivant. Elle se demandait bien pourquoi. Sans doute le souvenir ne garde-t-il que le meilleur du moment vécu, et le débarrasse-t-il de toutes ses scories, touchant ainsi à sa quintessence. Dans le souvenir, plus de tests PCR, plus d’attentes interminables à l’aéroport, plus de personnel désagréable de compagnie aérienne, plus de contrôle de sécurité, la mémoire débarrasse le voyage de toutes ces contrariétés de sorte que raconter des moments vécus procure une véritable satisfaction.

Nous souhaitions passer noël en famille dans une ville européenne et avions longuement hésité avant d’en arriver à une short-list de deux villes, Venise et Vienne. Nous avons finalement opté pour Vienne considérant qu’il y avait peut-être trop d’eau à Venise et que les Germaniques avaient un sens plus poussé de « noël ».

Chose étrange pour une ville de ce calibre, j’ai trouvé que Vienne était moins belle que Prague ou Budapest. Par rapport à cette dernière, le Danube est trop excentré et ne bénéficie pas des sinuosités de la ville hongroise et de ses ponts majestueux. Si les bâtiments sont aussi monumentaux, il leur manque la folie baroque et ornementale de la capital hongroise. Le ring, une autoroute en pleine ville, ceint un centre certes impressionnant mais assez étriqué.

Nous avons atterri le jeudi 23 décembre dans l’après-midi et avons rejoint notre hôtel, le Park Hyatt, au centre de la ville : voilà résumées en quelques mots plus de six heures de voyage depuis le réveil. Telle est la force de la reconstitution : un voyage devient par la magie de la réécriture et de la mémoire une téléportation. Après le check-in, nous avons marché au pas de course vers le Stadtpark où j’avais réservé un restaurant, le Meierei, dont les baies vitrées donnent sur le canal. C’est le propre de l’Europe qui ne laisse de m’étonner à chaque fois : l’espace d’un instant, dans une salle de restaurant bourgeois, nous sommes introduits dans un nouveau monde qui n’a rien à voir avec celui que nous avons quitté quelques heures plus tôt. A la fin de leur repas, les clients, tous habillés formellement, observent les corps étrangers que nous sommes débouler en panique dans leur quotidien.

Après le déjeuner, je suis rentré à l’hôtel travailler dans le silence cotonneux de ma chambre, assis derrière un bureau cossu. Le reste de la famille est allée visiter un marché de noël et déguster un café au Café central.

J’adore les instants précédant le départ pour un dîner en ville. Quand chacun se prépare et que l’on se donne des rendez-vous déterminants dans le lobby de l’hôtel, à une heure donnée.

J’ai réservé des restaurants gastronomiques pour nous laisser le temps de discuter. L’attente des plats d’un menu à rallonge finit par faire tomber les énervements divers et variés et crée une prédisposition à la conversation, à l’évocation de souvenirs de voyages et de villes. On s’habille bien pour y aller, ça fait festif, cérémonial, encourage les rituels. On s’habille bien, parle bien, mange bien, dans un beau cadre, bref, on embellit la vie.

Le lendemain matin, 24 décembre, je sors courir le long du canal, pendant plus d’une heure. C’est un cours d’eau calme et très urbain, avec de part et d’autre des voies rapides, et des murs tapissés de graffitis. De retour à l’hôtel, je me rends au spa, aligne des longueurs dans la piscine et m’adonne au rituel du sauna.

L’après-midi, j’ai réservé un concert de noël à l’hôtel Bristol. Ce fut à la fois traditionnel, kitsch, et consolant. Une atmosphère qui ramène à l’enfance et envahit de souvenirs indistincts de fête, des petites délices mémorielles enrobées dans du papier aux couleurs scintillantes.

Dîner de noël dans la grande salle du restaurant de l’hôtel. A vingt-heures trente précises, pour le second service, les rideaux se sont ouverts sur la monumentale cuisine comme sur une scène de théâtre.

Après le dîner, c’est avec une satisfaction avinée que nous sommes remontés dans nos chambres comme dans une auberge hors du temps dans une Mitteleuropa mythique.

Le lendemain, je décide de courir sur l’île du Danube, un long ruban entre les deux rives du fleuve. Je m’y rends en taxi. Le chauffeur me dépose au bas d’un pont et se moque presque ouvertement de ma détermination sur l’île désolée et déserte. Construite dans les années 1960 et entièrement consacrée aux activités de loisir, elle est, par ce 25 décembre, battue par le vent, la pluie et une infinie tristesse. Je cours pendant une heure dans ce paysage de désolation longiligne, croisant de loin en loin, un coureur, un cycliste, un type louche qui promène son chien, donnant l’impression, par l’incongruité de leur présence dans les étendues monotones, de spectres.

Quand je remonte sur le pont au bas duquel le taxi m’avait déposé, je découvre une redoutable autoroute à huit voies, sillonnées par des voitures furieuses, et entouré de chantiers. Par miracle, j’aperçois un taxi, qui s’arrête après une périlleuse embardée, et me raccompagne à l’hôtel où je me consacre religieusement au même rituel de la piscine, du sauna et des douches glacées.

La journée est muséale. Nous visitons l’Albertina, musée d’art moderne à taille humaine qui présente une exposition Modigliani et où se croisent de manière insolite Andy Warhol, Picasso, Monet, Oskar Kokoschka, Matisse, et d’obscurs peintres allemands et autrichiens. L’exposition Modigliani est une galerie de visages longilignes comme mon île du matin, de cous sinueux et élastiques. L’histoire du peintre est si tragique que l’envie me prend de revoir le film dans lequel Gérard Philippe l’incarnait, réalisé par Jacques Becker, Montparnasse 19.

Dans le restaurant traditionnel autrichien où nous déjeunons ensuite, à la table voisine, nous apercevons une femme sortie d’un tableau du peintre tuberculeux italien.

Nous marchons jusqu’au Belvédère sous une pluie glaciale, le but de notre pèlerinage est Le baiser le Klimt. Dans ce musée aux airs de Versailles avec ses vues sur des jardins à la française au-delà desquels se dessine les formes d’une ville dans la pénombre tombante, nous arpentons des salles tout à la fois sublimes et kitsch, admirant les trois grand peintres locaux (Klimt, Kokoshka, Egon Schiele) et des paysages d’une profonde germanité. Au dernier étage, désert, nous éprouvons le sentiment d’une étrange paix.

Il fait un froid de canard. C’est donc avec un plaisir intense que nous battons retraite dans la chambre d’hôtel, préparons le thé, pour lire un livre (When we cease to understand the world, de Benjamin Labitut) et somnoler entre ses lignes retraçant la naissance de la mécanique quantique.

Le soir, nous avons prévu un autre restaurant étoilé, les rares ouverts dans cette période festive. Nous nous y rendons à pied. La ville est déserte. Les appartements plongés dans le noir. Nous nous perdons dans les dédales de ruelles et les places fantomatiques qu’ils cachent. Une amie qui vit ici, et qui est elle aussi partie, nous avait averti que tous les habitants quittaient la ville pour aller au ski.

Le dîner est l’occasion de longues discussions familiales, sur des voyages passés, les sujets d’actualité et le futur. Après des mois de course entre le travail, l’école, les choses à faire, nous pouvons nous poser quelques heures, une étape dans l’interminable odyssée sans but, ni queue, ni tête, qu’est la vie. Au sixième plat, la vie se vide de sens. A quoi cela sert, tout cela ? Quatre heures d’immobilité permettent d’aboutir à une réponse : à rien.

Dimanche matin lent. Je sacrifie au même rituel de la course à pied le long des canaux, de la piscine et du spa. Nous allons déjeuner au restaurant Salon Plafond du musée Mak. Visitons la cathédrale Saint-Etienne.

En cette fin d’année 2021, le Covid continue de faire rage. Pourtant, de mémoire de voyageur, le retour à Paris est des plus fluides qui soient, pas d’attente à l’aéroport, pas d’attente de taxi à Roissy et le trajet de Roissy à Paris, d’habitude cauchemardesque, est une traversée dans les voies aérées d’un rêve éveillé.

Toutes les villes ont des airs sinistres dont elles n’arrivent pas à se départir depuis des mois. Nous nous consolons en nous rappelant la chance, pour sinistre qu’elle soit, de vivre dans une des plus belles villes au monde. Sur le pont de l’Alma, comme des personnages d’une matrice informatique, des pluies de code vert, les touristes continuent de prendre des photos de la Tour Eiffel. Voilà, une réalité qui perdure, machinale, robotique, une échappée dans ce monde en perdition, la Tour Eiffel qui clignote et une foule qui l’applaudit.

A l’abordage ! de Guillaume Brac

Rohmer me manque tellement que quand je le vois réincarné et croise son fantôme en sous-impression d’un film, j’éprouve une joie profonde. A l’abordage ! est le film rohmérien par excellence, film de vacances, préface à Paris, quête amoureuse, déception amoureuse, quête assouvie, et exploration d’un lieu. L’exploration d’un lieu surtout, ce coude de rivière, ce rien du tout topographique. Rohmer a fait beaucoup de films de plage et j’adore le concept de film de rivière dont on pouvait ressentir le vibe poétique dans Astrée. Ce qui est réjouissant ici, c’est que des blacks ont fait leur entrée dans cet univers et quel plaisir d’en faire des personnages rohmériens, pas des putains de cas sociaux, juste des personnages amoureux et déçus et pendus à leur téléphone dans l’attente du message de la personne aimée.

Ce film est touché par la grâce, les comédiens sont magnifiques, à l’intersection du jeu (des regards, des silences) et du naturel. C’est un naturalisme d’un genre nouveau, d’une grande douceur et que le jeu et la comédie rendent plus légers. Quand Félix n’arrête pas de consulter son portable pour surprendre le message tant attendu, le comédien est tellement bon qu’on a l’impression que ce n’est pas Félix, mais lui, vraiment, le comédien en dehors de l’histoire, qui a son sort pendu à ce message. Contrairement à du Rohmer, le film est aussi très drôle, plus Rozier dans ce sens, autre grand cinéaste des vacances.

Dans la France de la fin 2021 qui est, cher moi qui me relis dans vingt ans, mais vraiment crépusculaire, où les valeurs « républicaines » sont quasiment devenues des valeurs fascistes et tout le monde l’accepte, le fascisme est la norme, cette escapade dans la Drôme – il s’agit littéralement d’une escapade, d’une fuite, d’un coup de tête, d’une parenthèse cachée dans notre misère morale – m’a fait un bien fou.

Conversations

L’endroit idéal pour les conversations importantes en famille, celles qui nécessitent du temps, de la civilité, des échanges sereins, de la délibération, est le restaurant.

A déjeuner le dimanche, le restaurant impose son rythme propre, entrecoupé par l’attente des plats, on y est bloqué, ne peut quitter la table. Observés par les autres clients et le personnel, pas question de lever la voix, de manifester sa colère, une certaine retenue est de mise. L’énervement n’étant pas un recours pour avoir gain de cause, on doit donc tout miser sur l’argumentation, ce qui approfondit celle-ci, la rend plus robuste. Par conséquent, chaque fois qu’un sujet important se présente, un sujet aux implications long terme, comme c’est le cas en cette fin d’année 2021, je pense au restaurant, le dimanche midi.

La question qui se pose alors est celle-ci : quel restaurant ? Comme l’objet principal n’est pas la dégustation des plats mais la réunion de famille et l’opportunité laissée à chacun de s’y exprimer, il faut un environnement calme et, sans aller jusqu’à une exigence de confidentialité paranoïaque, un certain niveau de discrétion.

A Paris, ce restaurant est impossible à trouver.

Les brasseries et bistrots du coin ne font clairement pas l’affaire. Coincés dans un labyrinthe de tables, on est très mal assis sur des chaises en bois conçues comme des instruments de torture fessière ; il n’y a non seulement aucune discrétion, mais l’espace étriqué empêche la circulation même des idées. L’environnement extrêmement bruyant peut se prêter à des conversations à deux ou trois, sur des sujets sans enjeu ni intérêt, et surtout ne nécessitant aucune suite dans les idées car les serveurs vous brusquent en permanence, vous gueulent dessus, débarrassent en faisant le maximum de bruit avec les plats. C’est hélas un des rares métiers difficiles encore largement tenus par des Français, mais, la pandémie les en ayant en partie éloignés, il y a de l’espoir de les voir remplacés par des immigrés.

Sur le papier, les brasseries plus hauts de gamme offrent une alternative intéressante. Laurent de Gourcuff, le « créateur qui réveille Paris » comme le décrit Paris Match, a par exemple construit un nouvel empire parisien à la Costes. Sauf que, dès que l’on quitte les pages de Paris Match, dans la vraie vie, ce créateur vend, dans des décors certes sublimes de nouveaux riches, des expériences cauchemardesques. Avec des copains, nous étions allés chez Girafe, l’une de ces adresses incroyables, dans l’enceinte du musée Chaillot, avec une vue imprenable sur la tour Eiffel. A dix, nous nous étions embarqués dans une orgie de fruits de mer – la spécialité du lieu. Au début, c’était impressionnant, nous prenions des photos, trinquions au Sancerre, etc. Mais très vite, nous nous sommes rendu compte du fond sonore, la boîte à musique assourdissante et ultra-répétitive de vendeurs d’objets touristiques de l’autre côté de la terrasse. C’était à se flinguer. Par ailleurs nous étions arrivés tôt, pour que la table qu’après de longues démarches et plusieurs pistons nous avions réussi à réserver ne nous échappe pas, ce sont des tables pour lesquelles des clients sont capables de tuer. Au début, l’endroit était encore quasiment vide. Plus tard, nous fûmes pris au piège d’une foule de clients tous braillards, d’autant plus braillards que tout le monde braillait. Heureusement, entre copains, nous n’avions pas grand-chose de profond à nous raconter. Avec l’alcool, la conversation devint incohérente, peu importait donc que l’on s’entendît.

Pour une conversation importante en famille cette fois, j’ai essayé Monsieur Bleu, un autre des fleurons de ce Citizen Kane de la restauration parisienne. Fidèle à sa promesse, égale à elle-même, l’expérience fut tout aussi cauchemardesque que le lieu était sublime, tapissé de pans monumentaux en marbre, de dorures, et parfumé aux produits de l’officine Buly. Tout, dans l’expérience, est conçue pour vous la rendre la plus misérable possible. Sauf si l’on est un « ami du patron », pour la réservation, on a le choix entre midi trente et quatorze heures trente, les deux heures les plus désagréables pour manger, adaptées d’une part aux peuples du grand nord, de l’autre aux Andalous. Ensuite, on vous appelle trois fois pour confirmer la réservation. Une fois sur place, n’étant pas un « ami du patron », vous héritez à chaque fois de la pire table, en fait, elles sont toutes pires. Pour ce déjeuner, nous fûmes placés près d’un local à l’usage a priori indéterminé, un peu sombre, genre entrée de cave, dans lequel s’engouffraient précipitamment des serveurs. Nous ne nous sommes pas méfiés au début, ça ne payait pas de mine, cette entrée de cagibi. En fait, c’est là où les serveurs balançaient dans une benne tous les objets en verre. Cela faisait un bruit, mais un bruit ! Notre conversation était rythmé de sursauts. Bam ! Bam ! Bam ! Dans ce conglomérat de la bouffetance chic, les serveurs sont toujours très secs, polis, mais secs, à l’affût de la moindre erreur de votre part, du moindre écart protocolaire. Commander est aussi stressant que passer l’oral du bac, l’on craint de se tromper, de placer le mot de trop. Il faut dire que la nourriture est variée et correcte, du sel avec des accompagnements. Mais après tout ce sel ingurgité, comment résister au plat de chouquettes à 26 euros pour le dessert !? Paradoxalement, pour avoir vécu une heure et demie scandée par des bris de verre, regardée de haut par le serveur, à se farcir de sel, dans un espace étriqué, il faut payer. C’est sans doute l’une des plus ingénieuses inventions de l’homme blanc riche et masochiste. Se faire traiter comme de la merde tout en en mangeant, et payer très cher pour cela.

Si l’on se déplace latéralement par rapport au bistro de quartier, pourquoi ne pas jeter son dévolu sur le restaurant bistronomique, qui offre une cuisine goûteuse et des plats recherchés. Hélas, il réunit en général les inconvénients à la fois du bistro du coin – tables serrées, tintamarre – et du resto de nouveau riche – morgue des serveurs, le côté « nous sommes les inventeurs de la gastronomie », et une façon de parler français très énervante dont on peut trouver un aperçu dans le guide le Fooding, à coup de métaphores cool et régressives.

Une option intéressante est le « une étoile Michelin » dont le chef est japonais et la cuisine française. Il y en a des dizaines à Paris. Là, tout le monde est charmant, la nourriture est aussi belle à admirer que délicieuse et il règne dans le décor en général minimaliste un silence de bibliothèque. Mais, c’est justement cela le problème, dans ces restaurants, impossible de parler. Chuchoter, oui, à la rigueur, mais parler non, surtout pas à cinq.

Pourquoi pas un deux étoiles Michelin alors ? De ces lieux où, jadis, les hommes d’affaires se rendaient pour conclure des contrats d’envergure autour d’une caisse de Pauillac à déjeuner. Le prix d’abord, prohibitif, et l’interruption constante pour la présentation des plats. Entre les mises en bouches (plusieurs), les plats, les entremets, le pain, le vin, l’eau, vous devez subir mine de rien une trentaine de présentations détaillées. Ça hache la conversation. La fait perdre en fluidité. Vous vous êtes lancés dans une tirade argumentative, thèse, antithèse, synthèse ? vous en êtes au point 3 de votre raisonnement qui en compte cinq ? et le serveur – exquis bien sûr – vous prie de l’excuser pour débiter le liste de tous les ingrédients du plat – un admirable tableau – qu’il vient de poser devant vous. La moitié d’entre eux ne vous parlent pas, l’autre moitié, vous ne l’écoutez pas.

En dernier recours, il y a les restaurants déserts : celui vous savez qui n’a jamais marché ; le restaurant d’hôtel ; le traiteur chinois dont les plats débordent de victuailles à n’importe quelle heure de la journée ; le thaï un peu glauque mais paraît-il qu’il est bon, mais si, mais si ; le Japonais méconnu dont le menu à neuf euros vaut le détour. Bizarrement, un restaurant désert n’est pas propice à la conversation. Il semblerait qu’être entourés d’autres clients, à la bonne distance, soit presque inspirant. On peut raisonner, converser en ayant l’humanité sous les yeux, les familles qui se réunissent le dimanche, le grand père qu’on a placé au bout de la table et entouré d’une bavette, le couple un peu perdu dans l’ambiance dominicale et qui n’échange aucun mot, mais aucun, les enfants qui courent et crient. Tout ça ancre la conversation dans le concret.

Chaque fois qu’il faut choisir un lieu, j’ai donc cette idée mégalomaniaque d’ouvrir mon propre restaurant. Je concevrai le lieu parfait. Lumineux (idéalement d’angle), murs clairs, moquette claire (le parquet raisonne trop), des tables espacées, des sièges nordiques pour le style mais rembourrés pour le confort, une carte courte et de saison, des plats simples, avec une ou deux options végétariennes, des coupes de champagne de propriétaire à prix abordable (8-10 euros), et les meilleurs œufs mimosa de Paris. Une cuisine ouverte au milieu de la pièce mais absolument silencieuse car on y dialoguerait par entente tacite. Des serveurs immigrés et bien formés, professionnels sans être obséquieux, soucieux du confort du client, idéalement très beaux et noirs. Des fleurs et des bougies disposées sur la table. Réservation sur internet uniquement selon des règles démocratiques et transparentes – premier venu premier servi – et un seul créneau horaire (12h30-13h30), pas de menu papier, électronique seulement, et, avec le café, les meilleurs chocolats de Paris offerts par la maison. Paiement par une app, pas besoin de supplier pour avoir l’addition, de supplier à nouveau pour avoir la machine. Le nom du restaurant serait tout choisi, inscrit e sur la devanture en lettres blanches sur fond blanc, dans une élégante typographie car les mots commençant par un C majuscule et jouissant d’une certaine longueur sont très beaux : Conversations.

En attendant d’ouvrir Conversations, ce dimanche-là, nous sommes allés dans un restaurant du 7ème arrondissement, Lily Wang, un Chinois revisité par Costes. Ce n’était pas un mauvais choix : la moquette est profonde et atténue les bruits, les tables sont espacées, les sièges très confortables, les serveurs professionnels et aimables, la vue apaisante sur l’avenue de Breteuil et les Invalides, diffus sous une pluie fine. Nous y sommes allés vers 14 heures, les familles bourgeoises du coin en étaient au dessert et nous avons abordé les différents sujets de conversation pendant que les lieux, lentement, se vidaient, et que la salle plongeait, déjà, dans la mélancolie des dimanches après-midi d’automne.

Le Rouge et le noir

Je l’avais lu à l’adolescence et c’était le livre de ma vie. Depuis, je m’en suis toujours méfié. Je n’osais même pas l’ouvrir de crainte d’être déçu, comme on peut l’être en revenant sur les lieux de la mémoire et découvrant que leur taille et leur beauté ont été magnifiées par celle-ci. Hélas, pour ces grands classiques, ils ont la réputation d’être scolaires, juste bon pour griller les élèves dans des oraux de français et, aussitôt le supplice passé, être oubliés à jamais.

Ma fille avait donc un oral de français et, comme j’avais souvent parlé de ce livre, m’a demandé de l’aide. Elle avait une cinquante de questions auxquelles il fallait répondre. Non sans appréhension, j’ai téléchargé le pdf du livre et en ai parcouru de nombreux passages pour en discuter avec elle.

Ma surprise fut grande et ma joie profonde de découvrir que c’était trop de la balle. Tout à coup, avec une fraîcheur intacte que le temps n’avait en rien altérée, toute l’écriture stendhalienne, et son ironie joyeuse – aucune passion triste chez lui, tout est légèreté, en cela il se distingue d’une grande partie de la littérature française – sont remontées à la surface de ma mémoire comme des bulles de champagnes qu’elle aurait emprisonnées.

Voici les questions réponses que nous avons travaillées car tout l’intérêt d’un plaisir est qu’il soit partagé.

Première partie :

Chapitre 1 : Comment la ville de Verrières est-elle décrite ? Quel est le point de vue du personnage sur la ville ?

La ville de Verrières est décrire comme pouvant passer pour « l’une des plus jolies de la Franche-Comté ». Elle est abritée par une haute montagne, une des branches du Jura, et traversée par un torrent qui donne mouvement à de nombreuses scies à bois. En entrant dans Verrières, on entend le fracas de la fabrique de clous du maire, M. de Rênal.

Nous suivons le point de vue d’un voyageur qui visiterait la ville et apercevrait tour à tour, au gré de sa promenade, la fabrique, M. de Rênal, sa belle maison ou la scie à bois de SOREL. Le narrateur sert presque de guide à ce voyageur fictif.

Chapitre 2 : Qu’est-ce qui est au centre de la ville ?

Au centre de la ville, se trouve le COURS DE LA FIDELITE, une promenade publique qui longe la colline à une centaine de pieds au-dessus du cours du Doubs, avec une des vues les plus pittoresques de France.

Chapitre 3 : Pour quelles raisons M.de Rênal est-il en conflit avec M. Valenod ?

M. de Rênal et M. Valenod, directeur du dépôt de mendicité, sont des rivaux. Valenod a par le passé fait la cour à madame de Rênal. M. de Rênal est jaloux des chevaux normands que Valenod a achetés et souhaite à tout prix engager Julien Sorel comme précepteur chez lui avant que Valenod ne le fasse.

Chapitre 4 : Quelles relations Julien entretient-il avec sa famille ?

Julien Sorel est un intellectuel sensible qui n’entretient pas de bonnes relations avec sa famille de travailleurs. Il existe un fossé entre Julien et son père rustre qui le bat. Julien ne se sent pas intégré dans sa famille.

Chapitre 5 : Pourquoi ne veut-il pas être précepteur chez M. de Rênal ?

Julien veut s’engager comme soldat et ne veut « pas être domestique » chez les de Rênal, réduit à manger avec eux. Il puisait cette « répugnance » à manger avec les domestiques dans les Confessions de Rousseau.

Chapitre 7 : Comment réagit Julien à I ‘offre de Mme de Rênal de payer son linge ?

Julien est pris de colère par l’offre de madame de Rênal de lui payer son linge : « les yeux brillants de colère ». Il ne souhaite pas être réduit à moins qu’un valet en acceptant cette offre.

Chapitre 8 : Comment Julien réagit-il à la proposition d’Élisa ? Et Mme de Rênal ? Quelle réflexion fait-elle alors ?

Julien décline la proposition d’épouser Elisa, « l’offre de Mademoiselle Elisa ne pouvait lui convenir ». Madame de Rênal est fortement étonnée par cette même proposition, elle ne trouve plus le sommeil et tombe gravement malade. Elle fait la réflexion de leur bonheur sans elle : « Elle ne pouvait penser qu’à eux et au bonheur qu’ils trouveraient dans leur ménage ».

Chapitre 9 : Quel défi Julien se lance-t-il et pourquoi ?

Ce passage est l’un des plus célèbres du roman.

La veille, dans le chapitre précédent, Julien, en gesticulant, touche la main de madame de Rênal qui la retire bien vite. « Julien pensa qu’il était de son devoir d’obtenir que l’on ne retirât pas cette main quand il la touchait. L’idée d’un devoir à accomplir, et d’un ridicule ou plutôt d’un sentiment d’infériorité à encourir si l’on n’y parvenait pas, éloigna sur-le-champ tout plaisir de son cœur. »

Le lendemain, dans le chapitre IX, Julien « décida qu’il fallait absolument qu’elle permit ce soir-là que sa main restât dans la sienne. »

Julien se lance un défi fatidique : « Au moment précis où dix heures sonneront, j’exécuterai ce que, pendant toute la journée, je me suis promis de faire ce soir, ou je monterai chez moi me brûler la cervelle. »

Chapitre 12 : Montrez que l’épisode de la grotte est caractéristique du héros romantique.

Le décor dans lequel se retrouve Julien est romantique, « des roches nues qui couronnent la grande montagne », le soleil qui se couche derrière les « montagnes éloignées du Beaujolais », une « retraite » solitaire dans laquelle il voit « s’éteindre, l’un après l’autre, tous les rayons du crépuscule. »

Une des plus grandes caractéristiques du héros romantique est son courage et son indépendance ; Dans la grotte, Julien se sent mû par ses valeurs : « Pourquoi ne passerais-je pas la nuit ici ? […] je suis libre ! » pense-t-il.

Le héros romantique est aussi dans la « contemplation », la « rêverie », l’aspiration à l’amour passionnel et la gloire. Cette phrase résume, non sans ironie stendhalienne toutefois, cette disposition de l’âme de Julien dans l’« immense obscurité » de cette nuit : « Il aimait avec passion, il était aimé. S’il se séparait d’elle pour quelques instants, c’était pour aller se couvrir de gloire et mériter d’en être encore plus aimé. »

Chapitre 13 : Quelle résolution Julien prend-il à son tour à son retour de chez Fouqué ?

A son retour de chez Fouqué, Julien prend la résolution de quitter la maison de M. de Rênal et ses élèves : « J’aurais beaucoup de peine à quitter des enfants si aimables et si bien nés, mais peut-être le faudra-t-il. On a aussi des devoirs envers soi. »

Chapitre 15 : En quoi la relation entre les deux personnages évolue-t-elle ?

Julien entre dans la chambre de madame de Rênal et quand il en sort, « on eût pu dire, en style de roman, qu’il n’avait plus rien à désirer. » Julien en éprouve une grande fierté et madame de Rênal est sujette à des tourments et des remords.

Chapitre 16 : Quel jugement Mme Derville porte-t-elle sur Julien ?

Madame Derville porte un jugement contraire à celui de Mme de Rênal ; elle s’oppose à l’amour que celle-ci ressent pour Julien. A demi-mots, elle lui peint, sous de hideuses couleurs, le danger qu’elle court. Le soir, elle s’arrange pour s’asseoir entre eux et les empêche de se saisir la main.

Chapitre 18 : Que nous apprend sur Julien le passage sur l’évêque d’Agde ? Quel est le déclencheur de l’admiration de Julien pour la carrière ecclésiastique ?

Julien est stupéfait d’admiration pour la cérémonie religieuse. « Il ne songeait plus à Napoléon et à la gloire militaire. » L’évêque et le faste de la cérémonie déclenchent son intérêt pour la carrière ecclésiastique.

Chapitre 19 : Pourquoi Mme de Rênal veut-elle que Julien parte ? Comment leur relation évolue-t-elle ? Qu’apprend M. de Rênal à la fin du chapitre ?

Madame de Rênal souhaite que Julien parte car, dévorée de remords, elle pense que sa présence tue son fils Stanislas. Leur relation devient donc fragile et ils s’éloignent. M. de Rênal apprend par une lettre anonyme ce qui se passe entre madame de Rênal et Julien, au sein même de sa maison.

Chapitre 20 : Quel stratagème Mme de Rênal prépare-t-elle ?

Le stratagème de madame de Rênal consiste à s’envoyer à elle-même, avec l’aide de Julien, une lettre anonyme et de faire croire à son mari qu’elle provient de Valenod, qui l’a poursuivie d’une cour assidue par le passé. En donnant la lettre à son mari, « avec un visage renversé », elle discrédite la thèse de sa liaison avec Julien puisque l’accusation provient du rival Valenod.

Chapitre 22 : Comment Valenod est-il caricaturé ? Pourquoi Julien est-il en proie à une violente émotion pendant le dîner ?

Valenod et sa femme sont caricaturés comme des parvenus, habitant une maison magnifique et disant le prix de chaque meuble et du vin servi dans des « verres verts ».

Dans le chapitre III, le narrateur fait cette description de Valenod qui campe parfaitement le personnage avec une ironie toute stendhalienne : « ce M. Valenod grand jeune homme, taillé en force, avec un visage coloré et de gros favoris noirs, était un de ces êtres grossiers, effrontés et bruyants, qu’en province on appelle de beaux hommes. »

De l’autre côté du mur de la maison de Valenod, des détenus chantent une chanson populaire et Valenod les fait taire, en imposant, pour utiliser les mots du directeur, « silence aux gueux ? » Ce mot est trop fort pour Julien qui est en proie à une violente émotion.

Chapitre 23 : Comment le narrateur ridiculise M. de Rênal en soulignant sa bêtise ?

La narrateur parle d’un « petit homme » avec des « petites craintes ». Il dit aussi que « le grand malheur des petites villes de France c’est de ne pas pouvoir oublier qu’il existe au monde des êtres comme M. de Rênal. »

Chapitres 25 et 26 : Quelles sont les relations de Julien avec les autres séminaristes ? Qui essaie de le corrompre ?

Les séminaristes sont divisés en trois groupes. Julien se sent éloigné des trois, pour différentes raisons. Huit ou dix séminaristes vivaient en odeur de sainteté. Ces pauvres jeunes gens à visions étaient presque toujours à l’infirmerie et Julien ne les voyait pas. Une centaine d’autres réunissaient à une foi robuste une infatigable application. Ils travaillaient au point de se rendre malades, mais sans apprendre grand-chose. Deux ou trois se distinguaient par un talent réel, et, entre autres, un nommé Chazel, mais même de ceux-là Julien se sentait éloigné. Le reste des trois cent vingt et un séminaristes ne se composait que d’êtres grossiers qui n’étaient pas bien sûrs de comprendre les mots latins.

Beaucoup de séminaristes se contentaient du plaisir de dîner et comme Julien s’y montrait insensible, il se fit des ennemis. « Les jours de grande fête, on donnait aux séminaristes des saucisses avec de la choucroute. Les voisins de table de Julien observèrent qu’il était insensible à ce bonheur ; ce fut là un de ses premiers crimes. Ses camarades y virent un trait odieux de la plus sotte hypocrisie ; rien ne lui fit plus d’ennemis. Voyez ce bourgeois, voyez ce dédaigneux, disaient-ils, qui fait semblant de mépriser la meilleure pitance, des saucisses avec de la choucroute ! fi, le vilain ! l’orgueilleux ! le damné ! »

Progressivement, après le sentiment de mépris, Julien finit par éprouver de la pitié pour les séminaristes : « il était arrivé souvent aux pères de la plupart de ses camarades de rentrer le soir dans l’hiver à leur chaumière, et de n’y trouver ni pain, ni châtaignes, ni pommes de terre. »

Julien a ces mots cinglants pour ses camarades : « Mes camarades ont une vocation ferme, c’est-à-dire qu’ils voient dans l’état ecclésiastique une longue continuation de ce bonheur : bien dîner et avoir un habit chaud en hiver. »

Ayant découvert une carte à jouer dans sa malle avec ceci écrit dessus : « Amanda Binet, au café de la Girafe, avant huit heures. Dire que l’on est de Genlis, et le cousin de ma mère », l’abbé Castanède tente de corrompre Julien en l’incitant à sortir pour retrouver la belle Amanda. Heureusement, Julien ne cède pas à la tentation.

Chapitre 27 : De quoi Julien est-il dégouté au séminaire ?

Au séminaire, Julien tombe dans des moments de découragement et de dégoût ; il n’avait en effet ni succès, ni carrière. Les autres séminaristes renforcent ce sentiment de dégoût : « l’insolence de ces êtres grossiers lui avait fait beaucoup de peine ; leur bassesse lui causa du dégoût. »

Chapitre 28 : Qui rencontre-t-il à la cathédrale ?

Julien rencontre madame de Rênal à la cathédrale, ce qui provoque une profonde émotion. « Que devint-il en reconnaissant la chevelure de madame de Rênal ! »

Chapitre 29 : Quelle promotion obtient-il ? Quelle attitude ont alors les autres séminaristes envers lui ?

M. Pirard fait de Julien répétiteur pour le Nouveau et l’Ancien Testament, car il trouve qu’il le mérite. Julien est honoré de cette promotion et les séminaristes font preuve d’une attitude respectueuse envers lui, changent d’avis à son sujet.

Chapitre 30 : Qui revoit -il ?

Julien revoit madame de Rênal, à qui il fait ses adieux avant de se rendre à Paris ; « Oui, madame, je vous quitte pour toujours, soyez heureuse ; adieu. »

Deuxième partie :

Chapitre 2 : Comment la famille de La Mole est-elle décrite ? Dans quel quartier de Paris la famille habite-t-elle ? Comment Julien, qui est provincial arrive-t-il à se distinguer ?

La famille de la Mole est décrite comme noble et très fortunée, Monsieur de la Mole est ministre du roi et pair de France, ils habitent le quartier premier de Paris. Julien étant provincial, il arrive à se distinguer grâce à sa passion pour les bibliothèques et les ouvrages.

Chapitre 4 : Comment se comporte-t-on dans un salon parisien ? qu’en pense Julien ?

Dans un salon parisien, on se comporte avec grâce. Julien remarque que tous les yeux du salon sont rivés vers la porte. Julien, en tant que provincial, trouve un certain ennui dans ces salons.

Chapitre 6. Comment Julien est-il verbalement anobli ? Qui y contribue ?

Julien est verbalement anobli par son initiation aux codes de la haute société, auxquels le Marquis de la Mole contribue ; il possède une culture et une passion littéraire qui charment le Marquis mais surtout sa fille, Mathilde.

Chapitre 7 : Comment les relations avec M. de La Mole évoluent-elles ? Qu’apprend-on à Londres ? Quelle ascension réalise-t-il ?

Le marquis est de plus en plus intéressé par Julien et son « caractère singulier. » Au début, il se moquait des ridicules de Julien, puis il trouve plus d’intérêt à les corriger. Le marquis s’attache à Julien et le traite comme un fils.

A Londres, Julien connaît enfin « la haute fatuité », initié par de jeunes seigneurs russes. Ceux-ci lui recommandent de toujours faire le contraire de ce qu’on attend de lui.

Julien apprend par ailleurs que Valenod allait être nommé marie de Verrières à la place de M. de Rênal.

Chapitre 8 : Pourquoi Julien s’intéresse-t-il à Mathilde ?

Mathilde le déplaît, mais il se sent devoir « des comptes à tous les membres de la famille ». Ensuite il remarque qu’elle passe pour remarquable aux yeux de la société, « elle vaut la peine que je l’étudie » pense-t-il alors. « Je comprendrai quelle est la perfection pour ces gens-là. »

Chapitre 9 : Comment leur relation évolue-t-elle ?

Mathilde est de plus en plus attirée par Julien, elle le trouve « réellement si beau », il la libère de l’ennui qu’elle éprouve au bal, la choque et l’intrigue en même temps, (« il ne fut pas en son pouvoir de l’oublier. ») Julien ne semble pas s’intéresser à elle et cela la trouble d’autant plus.

Chapitre 10 : Quelles différences Julien fait-il entre Mme de Rênal et Mathilde ? Pourquoi Mathilde est-elle en grand deuil ? Comment sa relation avec Julien évolue-t-elle ?

Madame de Rênal représente le « naturel charmant », la « naïveté », c’est une « femme sublime ». Dans un précédent chapitre (le chapitre III de la première partie), le narrateur fait d’elle cette description dans le plus pur style stendhalien : « Elle avait un certain air de simplicité, et de la jeunesse dans la démarche ; aux yeux d’un Parisien, cette grâce naïve, pleine d’innocence et de vivacité, serait même allée jusqu’à rappeler des idées de douce volupté. »

Mathilde, elle, n’est que « vanité sèche et hautaine, toutes les nuances de l’amour-propre et rien de plus. »

Mathilde de la Mole est en deuil car « c’est aujourd’hui le 30 avril », or le 30 avril 1574, Boniface de La Mole, et Annibal de Coconasso, gentilhomme piémontais, son ami, avaient eu la tête tranchée en place de Grève. La Mole était l’amant adoré de la reine Marguerite de Navarre et Mathilde s’appelle Mathilde-Marguerite. Mathilde voue un véritable culte à cet ancêtre et son amour pour Marguerite de Navarre, fascination qui jouera un rôle à la fin du roman.

Peu à peu ses conversations avec Mathilde deviennent plus intéressantes. « Il oubliait son triste rôle de plébéien révolté. Il la trouvait savante, et même raisonnable. » « Quelquefois elle avait avec lui un enthousiasme et une franchise qui formaient un contraste parfait avec sa manière d’être ordinaire, si altière et si froide. »

Chapitre 11 : Quel type d’amour Mathilde ressent-elle pour Julien ?

Mathilde « meurt d’ennui » parmi les garçons de son âge qui, malgré leurs « manières parfaites », ne sont pour elle que le « même homme parfait ». Julien est « autre », différent des « jeunes gens à moustache », et d’une extraction sociale différente. Il est la matière parfaite pour la cristallisation stendhalienne, qui consiste à partir d’une personne pour construire tout un imaginaire amoureux et romantique, qui résonne avec Boniface de la Mole. Dans l’esprit de Mathilde de la Mole, Julien subira des altérations romanesques comme le rameau de Salzbourg sous l’éclat des cristaux.

« Une idée l’illumina tout à coup : J’ai le bonheur d’aimer, se dit-elle un jour, avec un transport de joie incroyable. J’aime, j’aime, c’est clair ! »

Mathilde ressent de la « grande passion » pour Julien, « pas un amour léger », un amour digne de Manon Lescaut, la Nouvelle Héloïse, Les Lettres d’une Religieuse portugaise. Un amour flamboyant et romanesque.

Chapitre 12 : Quel trait de caractère de Julien fait peur aux nobles ?

Les nobles ont peur de la fougue révolutionnaire de Julien : « si la révolution recommence, il nous fera tous guillotiner. » s’écrie son frère.

Chapitre 13 : comment Mathilde se déclare-t-elle ? Quel effet cela produit-il sur Julien ? Que fait-il de la lettre ?

Mathilde remet une lettre à Julien qui est « tout simplement une déclaration d’amour. » Julien éprouve une profonde joie « qui allait jusqu’au délire », « contractait ses joues et le forçait à rire malgré lui. » Il essaye de comprimer cette joie triomphale, en vain. Cette lettre a pour lui des allures de revanche sociale.

Il achète une énorme Bible chez un libraire protestant, cache la lettre de Mathilde dans la couverture, et adresse le tout à Fouqué.

Chapitre 14 : Quel rendez-vous est fixé ?

Mathilde donne rendez-vous à Julien dans sa chambre, une heure après minuit. Julien doit se rendre dans le jardin et monter une échelle pour la rejoindre.

Chapitre 15 : Que pense Julien des avances de Mathilde ? Comment réagit-il ?

La lettre de mademoiselle de La Mole donne à Julien « une jouissance de vanité vive ». Il se délecte du fait que lui « plébéien », « paysan du Jura », ait les faveurs d’une grande dame, et triomphe de jeunes hommes de haut rang comme le marquis de Croisenois.

Dans un deuxième temps toutefois, quand Mathilde lui donne rendez-vous dans sa chambre, il a peur d’être l’objet d’un complot (« on veut me perdre ou se moquer de moi, tout au moins. ») Il hésite alors énormément, se demande s’il doit y aller ou pas, car si elle est de bonne foi, Mathilde le mépriserait s’il manque au rendez-vous.

Chapitre 16 : Comment se passe la première rencontre avec Mathilde ? Quelle comparaison fait-il avec Mme de Rênal ?

L’embarras est grand des deux côtés. La scène a presque des accents comiques avec l’échelle qu’il faut remonter. Ce n’est pas la volupté de l’âme qu’il avait trouvée quelquefois auprès de madame de Rênal. « Il n’y avait rien de tendre dans ses sentiments de ce premier moment. C’était le plus vif bonheur d’ambition. »

Chapitre 18 : Comment évolue la relation entre Julien et Mathilde ?

L’amour de Mathilde se transforme dans ce chapitre en mépris, une sensation allant jusqu’au dégoût. Julien est bouleversé, éprouvant un malheur dont il n’avait pas l’idée.

Chapitre 19 :  Qu’est-ce qui indique chez Mathilde une certaine immaturité ?

Mathilde passe du mépris, au grand amour, au mépris à nouveau. Dans une parenthèse au lecteur, la narrateur évoque « les folies de cette aimable fille ?. » Alors que Madame de Rênal représente l’amour vrai, pour Stendhal Mathilde représente l’amour de tête : « l’amour de tête a plus d’esprit sans doute que l’amour vrai, mais il n’a que des instants d’enthousiasme ; il se connaît trop, il se juge sans cesse ; loin d’égarer la pensée, il n’est bâti qu’à force de pensées. »

Chapitre 20 : Que symbolise le bris de verre ?

Julien fait tomber un vieux vase de Japon en porcelaine bleue et sa destruction symbolise celle de son sentiment pour Mathilde.

Chapitre 21 : Qu’est-ce qui montre la confiance de M. de la Mole vis-à-vis de Julien ?

Il ne lui demande pas son serment de ne pas répéter ce qu’il va entendre dans une réunion à laquelle il l’envoie : « je vous connais trop pour vous faire cette injure », lui dit-il.

Chapitre 23 : Qui l’aide durant son voyage ? Qui fouille ses affaires pour trouver des papiers compromettants ?

Il signor Geronimo, le célèbre chanteur napolitain l’aide. L’abbé Castanède fouille dans ses affaires avec l’aide du maître-poste.

Chapitre 24 : Quel ami rencontre-t-il ? Quels conseils lui donne-t-il pour reconquérir Mathilde?

Il rencontre le prince Korasoff, cet ami de Londres qui lui avait dévoilé quelques mois auparavant les premières règles de la haute fatuité.

Le prince Korasoff lui conseille de voir Mathilde (que Julien appelle Madame de Dubois pour la circonstance) tous les jours, et de faire la cour à une autre femme de sa société mais sans montrer aucune passion envers celle-ci. Cette femme sera madame la maréchale de Fervaques.

Chapitre 25 : Comment se passe la conquête de Mme de Fervaques ?

Julien se place tous les soirs près du fauteuil de madame de Fervaques à l’Opéra Bouffe mais il lui est impossible de trouver un mot à dire, absorbé par ses efforts pour paraître guéri de son malheur aux yeux de Mathilde.

Chapitre 26 : Que pense Mme de Fervaques de Julien ?

Elle pense qu’il a de la distinction et lui reconnaît, à la différence des jeunes de son âge, un sérieux profond et de l’onction.

Chapitre 30 Qu’arrive-t-il à Mathilde ?

Mathilde éprouve de la jalousie envers madame de Fervaques et son orgueil est blessé.

Chapitre 32 : Qu’apprend-elle à Julien ? Qu’écrit Mathilde à son père ?

Mathilde apprend à Julien qu’elle est enceinte. Elle écrit une lettre à son père pour lui dire que Julien est son « mari » et le « père de son enfant. »

Chapitre 33 : Qui conseille Julien ? Quelle est I ‘attitude de Mathilde ?

L’abbé Pirard conseille Julien. Mathilde est désespérée mais intransigeante dans sa volonté de devenir Madame Sorel.

Chapitre 34 : Pour quelles raisons M. de La mole réfléchit-il au sort qu’il pourrait finalement aider Julien à atteindre ? Quelle offre fait-il ?

Le marquis est très indécis, oscillant entre la volonté d’enrichir Julien d’une part et l’envoyer en exil de l’autre. Mais c’est une lettre de sa fille où celle-ci avoue l’avoir aimé la première qui le décide à l’aider. Il donne ses terres de Languedoc à Julien et le titre de chevalier de la Vernaye.

Chapitre 35 : Quel coup de théâtre se produit ? Que fait Julien ?

Mathilde écrit au chevalier de Vernaye (Julien, donc) que « tout est perdu ». Il se précipite pour la retrouver et elle lui montre une lettre de son père dans laquelle il donne sa parole d’honneur à ne jamais consentir à son mariage. En fait, Madame de Rênal a écrit une lettre au marquis où elle dit penser qu’un des moyens de Julien de réussir dans une maison est de séduire la femme qui a le principal crédit. Julien accourt à Verrières et tire sur Madame de Rênal au cours de la messe.

Chapitre 36 : Qu’écrit Julien à Mathilde ?

Il écrit à Mathilde ses « dernières paroles et ses dernières adorations ». Il lui explique qu’il devait se venger et lui demande de l’oublier, et, un an après sa mort, d’épouser M. de Croisenois.

Chapitre 37 : Quelles visites reçoit-il ?

Il reçoit les visites du vénérable curé Chélan et de Fouqué.

Chapitre 38 : Qui lui rend visite ? dans quel but ?

Mathilde lui rend visite pour faire preuve de son amour. Elle poursuit ensuite des démarches à Besançon pour le faire libérer.

Chapitre 39 : Comment Julien évolue-t-il ? Quelle demande étrange fait Mathilde concernant leur futur enfant ?

La passion de Mathilde le rend de plus en plus insensible, il est « fatigué par son héroïsme », il la trouve « changeante ». L’approche de la mort le désintéresse de tout. Il lui demande de mettre leur enfant en nourrice à Verrières, et madame de Rênal surveillera la nourrice. Julien craint que « la négligence sera le lot de cet enfant du malheur et de la honte… »

Chapitre 40 : Qui œuvre pour que Julien soit sauvé ?

Madame de Rênal œuvre pour qu’il soit sauvé. Elle écrit de sa main aux trente-six jurés et leur dit ceci : « Je ne désire qu’une chose au monde et avec passion, c’est qu’il soit sauvé. »

Chapitre 41 : Quel est le verdict ? pourquoi ?

Julien est reconnu coupable de meurtre avec préméditation et cette déclaration entraîne la peine de mort. Valenod qui prononce le verdict se venge de son ancienne rivalité auprès de madame de Rênal.

Chapitre 42 : Que refuse-t-il de faire ? que pense-t-il de Mathilde et de Mme de Rênal ?

Julien refuse de faire appel. Il est dur envers Mathilde dont les « imprécations » l’excèdent. Il songe en revanche avec tendresse à madame de Rênal. « Il voyait madame de Rênal pleurer… Il suivait la route de chaque larme sur cette figure charmante. »

Chapitre 43 : Qui obtient l’appel de Julien ? Qui a-t-il vraiment aimé ? Qui lui rend visite ? quel effet cela a-t-il sur lui ?

Madame de Rênal obtient par sa visite l’appel de Julien. C’est elle qu’il a vraiment aimée et d’elle qu’il est encore éperdument amoureux. Il reçoit la visite d’un saint prêtre qui met Julien dans une profonde colère et, pour la première fois, lui fait entrevoir la mort dans toute son horreur.

Chapitre 44 : Pourquoi Julien a-t-il été condamné d’après Valenod ? En quoi son père est-il rnéprisable ?

Selon M. de Frilair, Julien a été condamné car il a attaqué la vanité de l’aristocratie bourgeoise en leur parlant de caste. Il leur a ainsi indiqué ce qu’ils devaient faire dans leur intérêt politique. Son père est méprisable car il pourrait être charmé de voir son fils guillotiné pour les trois ou quatre cents louis qu’il va lui laisser.

Chapitre 45 : Quel personnage secondaire décède et dans quelles circonstances ? Que veut Mrne de Rênal pour sauver Julien ? Que se passe-t-il après sa mort ? Qu’indique la note finale du narrateur ?

M. de Croisenois décède dans un duel avec M. de Thaler qui s’était permis des propos désagréables sur Mathilde.

Madame de Rênal veut aller voir le roi Charles X pour sauver Julien.

Après la mort de Julien, Mathilde le suit jusqu’au tombeau et, comme Marguerite de Navarre avec Boniface de la Mole, elle porte ses genoux la tête de l’homme qu’elle a tant aimé dans une « étrange cérémonie » funèbre qui ne manque ni de pompe ni de théâtralité, avec cierges et marbres « sculptés à grands frais. »

Madame de Rênal quant à elle meurt trois jours après Julien et sa mort clôt le roman, dans une grande pudeur et une simplicité bouleversante qui contrastent avec la grandiloquence de Mathilde.

L’excipit est d’une grande simplicité :

« Madame de Rênal fut fidèle à sa promesse. Elle ne chercha en aucune manière à attenter à sa vie ; mais trois jours après Julien, elle mourut en embrassant ses enfants. »

Ainsi, après s’être cherchés et perdus, malgré les vicissitudes de la société, de l’ambition et de l’argent, madame de Rênal et Julien se retrouvent enfin, dans la paix. La note finale du narrateur précise que, par respect pour la vie privée, la ville de Verrières est inventée, et le séminaire et la cour d’assises sont placés pour les besoins de l’intrigue à Besançon.